Et si la décomposition n’était pas un échec, mais une forme de musique dans son essence même, une respiration discrète de la matière ?
Dans de nombreuses traditions spirituelles, l’expérience de la mort et de la décomposition corporelle n’est pas appréhendée telle une fin en soi, mais plutôt comme un passage inévitable, transformateur, sacré et vivant à son propre rythme. Alors que notre société occidentale semble vouloir à tout prix arrêter le temps : nous scellons, préservons et aseptisons, effrayés par la décomposition, la fragilité et l’inévitable disparition. Et si la fragilité n’était pas à craindre, mais à accueillir comme une poésie du vivant, un murmure du temps qui passe ? ou telle une lente chorégraphie du temps, où la désintégration, la décoloration, le vieillissement et la décomposition ne sont pas à craindre, mais à observer, à écouter et à vivre pleinement ?

Rencontrer la matière : un dialogue avec l’impermanence
Mon voyage a débuté dans la poussière des obsolescences électroniques. En cherchant des matières en résonance avec l’écologie et l’éphémère, j’ai croisé le bioplastique, dans toute sa fragilité. Ça m’a parue en alignement avec mon approche hands-on de rétro-ingénierie et de détournement de circuits obsolètes.
Dans mes recherches autour de Capturing Light Frequencies (vers 2019), j’ai commencé à écouter cette matière en transformation : des surfaces sonores nées de déchets électroniques, incrustés dans des disques bioplastiques translucides, traces fragiles d’un monde en mutation. Grâce à des têtes de numériseurs modifiées, j’ai pu sonifier ces textures. Chaque fissure, chaque altération devenait une signature, un fragment de paysage visuel et sonore.




La beauté dans l’altération
Lors d’une résidence à la Biosphère de Montréal (2022), j’ai pu contemplé ces bioplastiques vieillis. Leurs courbes imprévues, leur teinte, leur fragilité n’étaient plus des erreurs, mais l’écriture du temps. Puis, à iii (La Haye, 2023), j’ai découpé des dentelles (fleurettes) dans ces membranes organiques, créant des ombres mouvantes sur mes senseurs de lumières.


Depuis, cette recherche de matière organique s’est enracinée plus profondément dans ma pratique où j’ai, par exemple, façonné le bioplastique pour créer des capteurs (im)portables, sensibles au vent et au toucher, ou encore un contrôleur (pour mes synthétiseurs!), mais aussi des pochettes de cassettes, tous voués à se transformer au fil du temps. J’avais également commencé à fabriquer des disques vinyles à partir de cette matière vivante, y intégrant la décomposition au cœur même de la structure du support sonore.



Composer avec la disparition
Créer des platines de bioplastique, c’est comme dessiner des traces vouées à s’effacer lentement. Ces disques vivent, respirent, se gondolent, s’altèrent. Le son se déforme et danse avec l’imperfection. J’y vois un écho aux premiers supports sonores (cire, acétate, bande magnétique) dont la matière portait déjà en elle une temporalité limitée, une usure programmée malgré elle. En intégrant la défaillance et la désintégration au cœur même du support, une part de moi cherche à composer non seulement avec le son, mais avec sa disparition. Ces disques deviennent ainsi des partitions en perpétuelle (dé)composition, où la mort n’est plus une fin, mais une transformation continue.

Vers de nouveaux cycles
Aujourd’hui, ce processus créatif continue de faire écho dans ma recherche. Je poursuis à travers de nouvelles expérimentations, notamment dans le développement d’une nouvelle série de disques d’algues ! Je désir approfondir une pratique où la matière elle-même (instable, poreuse, organique) devient langage. Où le son et la forme ne sont plus figés, mais pris dans un cycle de transformations lentes, révélant un temps élargi, écosystémique, presque rituel.